Lula: “Je serai candidat en 2018 si nos acquis sociaux sont menacés”

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África 21 – JOÃO BELISARIO e JOÃO MELO

 

África21. Fin Août le Sénat brésilien se prononcera définitivement sur la demande d´exonération de la présidente Dilma Roussef. Que pensez-vous de toute cette affaire?

Lula da Silva. Ce qui se passe au Brésil est un coup parlementaire. Tout est parti d´un acte de vengeance de l´ex-président de la Chambre Fédérale, Eduardo Cunha. Il a engagé le procès contra la présidente Dilma Roussef sans la moindre base juridique  quand le Parti des Travailleurs (PT) lui a fait entendre clairement qu´il ne le défendrait pas face aux innombrables accusations de corruption qui pesaient sur lui. La présidente Dilma n’a commis aucun crime de responsabilité, elle n´a pas enfreint la Constitution brésilienne. Sa suspension temporaire a été justifiée juridiquement par ses accusateurs en raison du recours à une procédure comptable pour solder les comptes du gouvernement pour l´année passée. Tous les gouvernements fédéraux récents et une bonne partie des gouvernements des états fédérés ont utilisé la même procédure et cela n´a jamais été considéré comme un crime susceptible de justifier un impeachment. Dilma est victime d´un procès politique, appuyé par les grands groupes de presse qui au Brésil se comportent comme s´ils étaient un parti politique.

Vous défendez naturellement que la présidente doit rester à son poste. Pensez-vous que ce soit possible? 

Je défends la légitimité des élections de 2014 que la présidente Dilma a remportées avec plus de 54 millions de voix. Ce qui est en cours est un attentat contre la jeune démocratie brésilienne mais je crois qu´il est encore possible de renverser la situation. A l´heure actuelle le mandat de la présidente n´est que suspendu, elle a jusqu´à la fin Aout pour se défendre et convaincre au moins six sénateurs de prendre position contra l´impeachment. Les sénateurs qui lors du premier vote ont défendu  l´admissibilité de la plainte vont devoir maintenant se prononcer sur les fondements de celle-ci. Notre sénat comporte 81 membres.55 se sont prononcé en faveur de l´ouverture du procès soit plus de la majorité requise qui est des deux tiers. J´ose croire qu´une partie d´entre eux auront l´honnêteté de reconnaitre l´absence de fondement de l´accusation lors du prochain vote et une partie importante de la société brésilienne fait pression en ce sens.

La procédure de destitution de la présidente Dilma a coïncidé avec d´importants mouvements sociaux contre la corruption au Brésil. A première vue, pour l´opinion internationale peu informée au sujet de la situation politique brésilienne, c´est pour ce chef d´accusation qu´elle sera jugée. Cette impression est correcte?

Pas du tout. Les mouvements sociaux auxquels on a assisté au Brésil  depuis 2013 sont motivés initialement par la défense de meilleures conditions de vie, en ce qui concerne en particulier les transports collectifs et la mobilité urbaine. Le thème de la corruption n´ est apparu qu´après. Actuellement il y a un grand débat sur ce thème et de nombreux hommes d´affaires et politiciens sont poursuivis et jugés en raison de leur conduite. Cela n´a été possible que parce qu´au cours des 13 dernières années les gouvernements dirigés par le PT ont mis en place une série de mécanismes qui ont renforcé le pouvoir des institutions responsables des mises en accusation et des enquêtes. Personne n´a fait plus que le PT pour combattre la corruption. Nous avons équipé la Police Fédérale et augmenté ses effectifs; nous avons transformé  la «Controladoria Geral da União» (Inspection Générale de l´Etat) en ministère; nous avons créé sur la Toile la «Plateforme de la Transparence» qui permet aux citoyens de prendre connaissance et d’évaluer tous les actes et décisions du gouvernement, et bien d´autres mesures allant dans le même sens. Grâce à notre action et à la garantie du strict respect de toutes les libertés démocratiques, des accusations qui, sous la dictature militaire et sous les gouvernements conservateurs qui lui ont succédé étaient étouffées et archivées ont commencé à voir le jour et fait l´objet d’enquêtes. Ces enquêtes sont  en cours depuis plus de deux ans et n´ont jamais mis en cause la Présidente Dilma Roussef. Il n´est fait aucune référence à la corruption dans le réquisitoire qui a conduit à sa suspension. Ce à quoi on assiste est un lynchage politique du chef de l´Etat.

En lisant la presse brésilienne à grand tirage on pourrait croire  que les scandales de corruption connus sous le nom de «mensalão» e de «Lava-Jato» n´impliquent que des personnalités appartenant au PT. Qu´en est-il en réalité? 

 

La corruption est un problème chronique au Brésil. Elle a surgi dès le début de la colonisation portugaise et a continué après l´indépendance et l´instauration de la République. Récemment on a assisté à l´ouverture de dizaines de procès contre des membres de presque tous les partis, des dirigeants du PMDB, du PSDB, du DEM et      autres. Si on a l´impression que seul le PT est impliqué c´est en raison d´actions sélectives d´une partie du Ministère Public, relayées par la presse à grand tirage. Les fuites d´informations couvertes par le secret de l´instruction sont devenues pratique courante au Brésil de même que la «mise en scène» des actions judiciaires visant à causer le plus grand impact médiatique, et c´est particulièrement flagrante à la télévision. On a également recours, systématiquement et de forme indiscriminée à ce que nous appelons la «délation récompensée» : des personnes sont mises en examen et soumises à des pressions pour incriminer le PT. Si elles acceptent, elles peuvent rendre une partie de l´argent obtenu illégalement et leurs peines sont fortement réduites ou amnistiées. En cas de refus elles restent derrière les barreaux pour un temps indéterminé en attente de jugement. Ces stratagèmes ont été utilisés de forme sélective pour attaquer principalement le PT.

Le discours moralisateur tenu par le PT quand il était dans l´opposition n´explique-t-il pas en partie l´indignation que suscite le fait de s´être laissé prendre dans les mailles de la corruption une fois parvenu au pouvoir?

La grande majorité du peuple brésilien se réjouit de voir que la corruption est punie et plus encore quand les prévenus sont riches et politiquement influents car jusqu´à présent ils n´allaient jamais en prison. Je suis triste quand mon parti est atteint mais la quasi-totalité de nos militants et dirigeants n´ont jamais été accusés. Les rares suspects doivent être poursuivis mais les enquêtes doivent être impartiales et respecter tous les principes démocratiques. J´ai moi-même fait l´objet de dénonciations et accusations, grandement amplifiées par la presse á grand tirage, sans la moindre consistance juridique. La défense de l´éthique en politique fait partie de l´histoire du PT et nous devons réellement changer les relations entre les partis et les entreprises. Le PT a fait plusieurs campagnes pour tenter de mettre fin au financement privé des partis et des campagnes électorales et nous nous sommes réjouis quand le Tribunal Suprême Fédéral a approuvé cette mesure. Elle s´appliquera déjà lors des campagnes en vue des élections municipales d´octobre prochain.

 

Le système politique brésilien se caractérise actuellement par un grand nombre de partis dont aucun ne dispose de la majorité absolue dans les institutions auxquelles il participe. Est-il possible de gouverner dans ces conditions? N´est-ce pas une incitation á la corruption ou á l´échange de faveurs?

Le PT défend l´approbation d´une vaste réforme politique. Celle-ci est absolument indispensable pour combattre la corruption et viabiliser l´action des pouvoirs législatif et exécutif. Le Brésil compte actuellement 35 partis dont 27 sont représentés au Parlement. Dans ces conditions il est presque impossible de gouverner car aucun parti ne peut espérer obtenir la majorité La Chambre Fédérale est constituée par 513 députés et les trois principaux partis n´en ont que 66 pour le PMDB, 59 pour le PT et 51 pour le PSDB. Le Président de la République doit donc réunir des membres de plusieurs partis pour former le Gouvernement, et construire des coalitions et négocier des accords avec plusieurs forces politiques fortement divergentes pour faire passer la moindre résolution. Des partis politiques qui n´ont rien en commun sont obligés de faire des alliances. La réforme politique que nous défendons est indispensable pour modifier la situation et mettre fin à une série d’anomalies au sein de notre système électoral.

Certains observateurs relèvent le virage à droite qui a lieu en Amérique Latine et l´attribuent á l´influence des forces dominantes de l´ordre néo-libéral global. Pensez-vous qu´une «main étrangère» a contribué à ce qui se passe actuellement au Brésil?

Nous sommes entrés dans le XXIème siècle avec un cycle de gouvernements démocratiques et populaires qui ont apporté plus de développement économique et un partage plus équitable des richesses dans pratiquement toute l´Amérique Latine et dans beaucoup de pays d´Afrique. Mais avec  l´aggravation de la crise économique internationale  initiée en 2008  nous assistons sur toute la planète á un renforcement du néolibéralisme économique, des politiques d´austérité et des forces réactionnaires. Ces dernières sont à l´offensive partout, les partis d´extrême droite se développent en Europe, les conservateurs augmentent leur influence aux Etats Unis, les manifestations xénophobes et racistes se multiplient et la vague migratoire vers les pays européens est devenue un des grands problèmes mondiaux. Je suis sûr que la consolidation du coup parlementaire au Brésil intéresse les grandes multinationales qui voudraient mettre la main sur nos richesses, notamment le pétrole, et qui espèrent récupérer le terrain conquis par les principales entreprises brésiliennes sur le marché national et international depuis le début du siècle

Vous avez été président pendant huit ans. Au long de vos deux mandats avez-vous senti une opposition de la part des grandes puissances á l´émergence du Brésil comme puissance globale? Certains pensent-il encore que le Brésil devrait se contenter d´être un exportateur de produits agricoles et ne pas se mêler de produire des avions?

Sous mes gouvernements, le Brésil a conquis une plus grande place dans le concert des nations, comme d´autres pays en développement comme la Chine, l´Inde, l’Argentine et plusieurs pays africains. Nous avons établi de fortes relations avec nos voisins d+ Afrique et d´Amérique Latine. Nous avons créé les BRICS, l´UNASUL, la CELAC, l´IBAS, nous avons fortifié le MERCOSUL, notre politique étrangère a privilégié les relations Sud-Sud et mis fin à une histoire de soumission aux intérêts de l´Europe et des Etats Unis. Nous avons mis en œuvre plusieurs programmes de coopération dans le domaine social, pour combattre la faim et la misère. Mais aujourd´hui la crise internationale s’est aggravée au lieu de se résorber, et tous les pays européens appliquent actuellement des politiques d´austérité. Au Brésil nous avons réussi à créer des entreprises qui disputent contrats et parts de marché aux autres entreprises multinationales. Le Brésil et plusieurs pays en développement ont prouvé qu´ils pouvaient produire aussi bien des matières premières et de la technologie de pointe. Notre production agricole et notre élevage incorporent beaucoup de technologie.

 

N´est-il pas étrange que les entreprises brésiliennes actuellement poursuivies pour corruption soient précisément celles qui ont atteint le plus haut degré d´internationalisation?

C´est un fait qui devrait faire réfléchir. Les enquêtes devraient se concentrer sur les dirigeants qui commettent des irrégularités et tacher de ne pas mettre en danger l´existence d´entreprises qui emploient des dizaines de milliers de travailleurs, qui ont atteint des niveaux très élevés de compétence technique et professionnelle et qui sont devenues compétitives internationalement. J´ai souvent attiré l´attention sur cet aspect du problème: les enquêtes ne doivent pas affecter notre économie.

L´une de vos préoccupations comme président a été d´ouvrir des portes aux entreprises brésiliennes dans le monde entier et notamment en Afrique. Tous les chefs d´état le font actuellement. Peut-on pour autant être accusé de «trafic d´influence»?

En Afrique la priorité de mon gouvernement a été d´établir des partenariats et de faire des accords pour développer des politiques publiques et des programmes sociaux de lutte contre la faim et la misère. Mais pour répondre à votre question je dirai qu´un Président qui n´a pas d´influence ferait mieux de changer de métier. Cette accusation est une autre manipulation organisée par certains secteurs de la presse brésilienne. Je suis convaincu qu´appuyer les entreprises nationales dans leurs investissements à l´étranger fait partie des obligations du chef de l´état dans tout pays démocratique. L´internationalisation des entreprises brésiliennes rapporte des devises et crée des richesses et de l´emploi dans le pays. J´ai fait exactement ce que font les présidents des Etats Unis, de la France, du Portugal, le chef du gouvernement anglais.

L´objectif des procédures judiciaires en cours au Brésil est-il d´«attraper Lula» comme disent vos partisans? S´agit-il de vous empêcher d´être candidat á la présidence en 2018?

J´ai dit et répété que je serai candidat en 2018 si je sens que les projets que nous avons construits pour améliorer la répartition des richesses et les conditions de vie des laissés pour compte et des plus démunis sont en danger. Si cela se produit et s´il n´y a personne en meilleure position pour les défendre en 2018, oui, je serai candidat. Pour défendre nos acquis et viser vers l´avenir avec des propositions claires pour améliorer encore davantage les conditions de vie de notre peuple, parce qu´il y a encore beaucoup à faire. Je crois que les forces conservatrices du Brésil ne veulent pas en entendre parler et qu´elles font tout pour salir artificiellement mon nom et remettre en cause mon légat.

Le président par intérim Michel Temer a pris une série de mesure qui va á l´encontre des politiques mises en œuvre au Brésil au cours des douze dernières années. Si Dilma Roussef est déchue, que va-t-il arriver et quelle serait la réaction du PT?

Michel Temer n´est président qu´à titre provisoire. Mais dès le premier jour il a agi comme s´il avait la légitimité que confèrent les urnes. Lui et ses ministres ont déjà annoncé ou pris des mesures qui contrarient plusieurs  des politiques publiques et des programmes sociaux que nous avons créés pour améliorer la vie de la grande majorité de la population. Le PT et moi croyons que la présidente Dilma va reprendre les rênes du gouvernement. Mais si cela ne se produit pas le PT va lutter de toutes ses forces pour empêcher que les acquis sociaux soient abolis e nous allons nous préparer pour mobiliser la société en ce sens de commun accord avec les autres forces progressistes. Nous serons opposition, comme nous l´avons été dans le passé et nous agirons avec fermeté et responsabilité.

 La classe politique brésilienne est profondément discréditée et le pays est divisé. Si la situation s´aggrave faut-il craindre une intervention des militaires?

Je ne le crois pas. Les militaires savent combien la démocratie est importante pour le Brésil et qu´il n´y a pas de solution pour le pays en dehors de la démocratie. Toute tentative d´y porter atteinte se heurterait à une forte opposition de toutes les forces progressistes de la société brésilienne.